Colza et féverole, l'alimentation privilégiée par les abeilles en zone de grandes cultures
En 2021, l’institut technique agricole Terres Inovia se rapproche du négoce Ternoveo pour mettre en place une expérimentation scientifique. Elle concerne 30 colonies d’abeilles domestiques établies de manière pérenne sur des exploitations agricoles de grandes cultures autour de Saint-Quentin dans l’Aisne. Grâce aux balances connectées positionnées sous les ruches et aux suivis réalisés, la croissance des colonies et l’accumulation des réserves de nectar et de pollen ont été suivis tout au long de l’année.
L’objectif principal de ce projet de recherche est de mieux comprendre l’utilisation des plantes sauvages et cultivées par les abeilles et leur place relative dans le bol alimentaire des colonies ainsi que les liens existants entre les ressources disponibles à l’échelle d’un territoire et la production de miel.
Un dispositif s’appuyant sur le programme « Terre des abeilles »
Terre des Abeilles est un projet collectif déployé par Ternoveo qui regroupe 68 agriculteurs des Hauts-de-France engagés pour favoriser la biodiversité sur leurs exploitations.
Chaque agriculteur partenaire du programme est responsable de 3 ruches au minimum. Il s’engage à les accueillir en adoptant une démarche éco-responsable, en adoptant de bonnes pratiques culturales, et au besoin en semant des plantes mellifères. Le miel « Terre des Abeilles » reflète la flore de la région des Hauts-de-France et le lien indissociable entre son agriculture et la biodiversité.
Un réseau de ruches connectées pour étudier l’utilisation des ressources fleuries
- 30 ruches sur balances connectées réparties sur 10 sites transmettent des données de gain de poids toutes les 12 minutes
- 130 échantillons de miel frais et 130 échantillons de pollen de trappes collectés pour être analysés
- analyses palynologiques réalisées en laboratoire pour déterminer l’origine florale des ressources collectées par les abeilles
- Evaluation des populations d’abeilles en début de saison, après la floraison du colza et avant l’hivernage selon une méthode simple et rapide publiée par l’INRAE
Quels enseignements en 2021 ?
Colza, féverole et fruitiers, principales sources du pollen collecté par les abeilles !Du 14 avril au 17 juin, 10.6 kg de pollen ont été collectés en trappes et prélevés par les apiculteurs sur l’ensemble du dispositif pour la mise en œuvre des analyses polliniques. Ce pollen représente un échantillon indicatif du butin total collecté par les colonies suivies.
Trois espèces végétales dominantes sont à l’origine de ce pollen.
1. la féverole Vicia Faba (34% )
2. le colza Brassica napus (24%)
3. les arbres fruitiers Prunus/Pyrus (15%)
A gauche : Alimentation pollinique des colonies d’abeilles en suivi.
Indications chiffrées : poids du pollen collecté en g du 14/04 au 17/06, toutes ruches confondues.
A droite : Origine florale des pollens collectés par les abeilles
Si on analyse la collecte de pollen totale d’un point de vue temporel (figure 2), on remarque que le colza et les arbres fruitiers représentent les principales ressources polliniques des colonies à l’étude jusque début mai. En début de saison, on notera également l’apport significatif du pissenlit et du saule, espèces sauvages à floraison très précoce.
Ensuite, sur le mois de mai, c’est l’aubépine qui tient une place centrale, supérieure au colza qu’elle concurrence. Les érables permettent d’assurer une transition avec le mois de juin au cours duquel la féverole est largement dominante du point de vue des apports polliniques (entre 50 et 100% du bol alimentaire !), complété par le coquelicot, le cornouiller sanguin et la phacélie. Cette dernière espèce est très attractive pour les abeilles. Certains agriculteurs du projet l’ont implantée en couvert d’interculture.
Ces résultats montrent la contribution importante de la féverole et du colza (58% des apports), deux grandes cultures mellifères à floraison massive à l’alimentation pollinique des abeilles. Ils montrent aussi la nécessité pour les abeilles de diversifier leurs apports protéïques en visitant des espèces sauvages herbacées, arbustives ou arborescentes comme le coquelicot, l’aubépine et les saules notamment.
Au total, ce sont 25 genres/espèces de plantes dont on a retrouvé du pollen dans les trappes mises en place devant les ruches à l’étude. Il est par ailleurs démontré qu’une alimentation pollinique diversifiée est pour les abeilles domestiques une des clés de la survie hivernale et de la résistance face aux stress environnementaux.
En 2021, année particulièrement froide et pluvieuse au début de la campagne apicole, le colza est l’espèce qui remporte la palme de la floraison la plus longue car elle a fourni aux abeilles des ressources en pollen jusqu’au 9 juin, ce qui est exceptionnel !
Evolution temporelle de la masse de pollen collectée en trappe sur les colonies suivies
Qu’en est-il des nectars ?
Dans notre étude, l’espèce dont le pollen est le plus souvent détecté dans le nectar est le colza. En effet 123 échantillons sur 130 en contiennent à hauteur de 83% en moyenne et plus de la moitié des échantillons en contiennent plus de 90% !
En tant que grande culture à floraison abondante produisant du nectar et du pollen en quantité, le colza est une ressource primordiale pour les abeilles en Hauts-de-France de laquelle les abeilles extraient des quantités de miel importantes. Sur les colonies à l’étude, la production de miel totale est en moyenne de 39 kg par ruche ; aucun doute que le colza y contribue grandement au vu de ces résultats !
Dans les nectars analysés, les pollens de 3 autres genres ou espèces de plantes ont également été détectés de manière significative : Il s’agit des arbres fruitiers, des saules et de la féverole, dont les pollens sont présents dans respectivement 32%, 30% et 14% des échantillons, à hauteur de 10%, 17% et 34% en moyenne.
Saules et féveroles exploités pour leur nectar mais…
On retrouve des pollens de saules et de féverole dans certains échantillons de nectars, est-ce que ce résultat en garantit l’origine ? pas tout à fait…en voici les raisons :
Le saule, et particulièrement le saule Marsault, est une espèce particulièrement attractive pour les abeilles. Les abeilles peuvent produire du miel de saule, même si c’est assez rare. Retrouver du pollen de saule dans le nectar n’indique pas qu’il s’agisse de nectar de saule car chez cette espèce, le pollen et le nectar sont produits sur des plantes différentes. Si du pollen de saules se retrouve dans le nectar, c’est donc de manière fortuite.
La féverole est une plante qui produit du nectar contenu dans les fleurs et aussi ce qu’on appelle du nectar « extra-foral » produit sur les parties végétatives et par conséquent facilement accessible pour les insectes auxiliaires notamment ceux dont les pièces buccales sont courtes. De ce fait, les abeilles peuvent produire du miel de féverole qui ne contient pas de pollen de féverole. Pour cette espèce, la présence de pollen dans le nectar peut renseigner sur l’origine du nectar mais pas nécessairement ce qui constitue une limite de l’étude.
Espèces végétales dont le pollen a été détecté dans les échantillons de nectars.
Plus les cercles sont gros, plus la fréquence de détection de l’espèce dans les échantillons de nectar est élevée.
Références
Chabert S., Requier F., Chadoeuf J., Guilbaud L., Morison N., Vaissière B.E., 2021. Rapid measurement of the adult worker population size in honey bees. Ecological Indicators 122.
Remerciements
Nous remercions chaleureusement Nathalie Lanciaux ainsi que que les agriculteurs impliqués dans l’expérimentation et les apiculteurs sans qui ce travail n’aurait pu voir le jour : Arnaud Cras, Jean-François Lancry et Jean-François Vincette.
Des abeilles accueillies sur la plateforme Syppre de Picardie
La contribution des insectes pollinisateurs au rendement du colza varie entre 0 et 30 %
Le colza est une culture à floraison massive qui fournit du nectar et du pollen en abondance au printemps. De ce fait, il attire de nombreux insectes floricoles, principalement l’abeille domestique mais aussi des bourdons, diptères, abeilles solitaires et papillons. Parmi ces insectes, les principaux pollinisateurs sont les abeilles domestiques et sauvages.
La contribution des insectes pollinisateurs au rendement est très variable en fonction des espèces végétales et aussi en fonction des variétés.
Plus de 70% des espèces de plantes cultivées sont dépendantes des insectes pollinisateurs pour la production de graines. Le niveau de dépendance, qui reflète l’aptitude des plantes à produire des graines en l’absence d’insectes pollinisateurs est cependant très variable d’une espèce à une autre et également entre variétés d’une même espèce. Le blé et l’avoine par exemple atteignent leur potentiel maximal de production sans le concours des insectes tandis que le kiwi ou le melon en dépendent à hauteur de 95%. Les cultures porte-graines se retrouvent dans le second cas.
Chez le colza, cette contribution varie entre 0 et 30 %
La production de colza destinée à la consommation se situe entre ces deux extrêmes. En effet, les études scientifiques évaluent la contribution des insectes à la production de graines de colza entre 0 et 30%. Chez cette espèce, l’autopollinisation passive est le phénomène qui intervient de manière prépondérante (70%) alors que le vent contribue à la production de graines pour 3 à 12 % du rendement.
Pourquoi observe-t-on de tels écarts concernant l’influence des insectes ?
Les résultats issus de la littérature mettent en évidence une variabilité importante de contribution des insectes au rendement du colza et ce en raison de plusieurs éléments : la méthodologie utilisée, les échelles de travail, les variétés de colza impliquées et enfin le contexte paysager et climatique.
Abeilles domestiques sur colza
Les résultats contrastés d’études récentes illustrent cette variabilité.
Des travaux récents publiés par l’INRAE et le CNRS mettent en évidence une contribution majeure des insectes pollinisateurs à la production grainière du colza. Ils indiquent des écarts de rendement d’environ 30% entre les parcelles associées à une forte abondance d’insectes pollinisateurs et celles avec une abondance faible dans le contexte de la zone Atelier Plaine et Val de Sèvre (72).
Ce chiffre, étayé par d’autres résultats scientifiques, fait état d’une situation extrême, qui ne reflète pas les gains réels que pourraient attendre un agriculteur souhaitant positionner des colonies d’abeilles en bordure de ses parcelles. C’est ce que montre une étude réalisée en Picardie par Terres Inovia, l’unité Abeilles et Environnement de l’INRAE d’Avignon et le collectif d’agriculteurs Poll’Aisne Attitude. Cette étude a consisté à créer artificiellement un gradient de visites d’insectes dans 6 parcelles de colza par apport de 4 ruches par hectare. Les mesures du rendement à différentes distances du front d’insectes pollinisateurs n’ont pas mis en évidence de gains de productivité du colza en lien avec les visites d’abeilles.
En colza comme en tournesol, un faible nombre de visites d’insectes est souvent suffisant pour maximiser le potentiel de rendement ce qui explique pourquoi, dans certains contextes, l’apport de colonies d’abeilles n’a aucune incidence sur la productivité.
S'inscrire avec Facebook
S'inscrire avec Google