Souveraineté protéique : les grands enjeux pour la France jusqu’en 2030
Souveraineté protéique : les grands enjeux pour la France jusqu’en 2030
Paris, le 2 mars 2022 – Après une première année de mise en application, le programme de recherche, développement, innovation et transfert Cap Protéines présente des résultats très encourageants. Enjeu national et européen de souveraineté alimentaire, les protéines végétales sont plus que jamais au cœur des débats tant sociétaux qu’agricoles. À mi-parcours de ce programme bisannuel, la filière des huiles et protéines végétales et les filières d’élevage sont au rendez-vous : de nombreuses actions fédératrices signées Cap Protéines ont déjà été conduites sur le terrain par Terres Inovia et l’Institut de l’Élevage, les deux instituts techniques coordinateurs du projet. Une gageure, alors que les conditions climatiques ont été particulièrement difficiles et que les agriculteurs luttent pour maintenir les surfaces oléoprotéagineuses.
Les cultures de légumineuses à graines ont été particulièrement impactées cette année. Pourtant, jamais le combat de la souveraineté protéique du pays n’a été aussi essentiel, à un moment où les tensions à l’est de l’Europe perturbent les approvisionnements en protéines. La France doit augmenter sa production de protéines végétales pour nourrir sa population et son cheptel, et limiter sa dépendance à des importations sous tension,
telles que le soja d’Amérique du Sud ou le tournesol de la Mer Noire. Le changement climatique, pour sa part, oblige les agriculteurs à adapter leurs pratiques et à intégrer de nouveaux repères techniques. Les Français expriment de fortes attentes et réclament une agriculture qui défende durablement la capacité nationale à produire, garantissant l’indépendance face aux exportations1.
Cap Protéines : le cœur d’une stratégie nationale
Lancé en janvier 2021, le programme multipartenarial Cap Protéines, d’une durée de deux ans, est le résultat d’une co-élaboration fructueuse entre l’Etat et les professionnels du secteur agricole. Convergence du travail mené dans le cadre des plans de filière et du plan de relance engagé par legouvernement, il bénéficie d’une enveloppe France Relance du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation de 20 millions d’euros jusqu’à décembre 2022. Elle vient renforcer, durant cette période, le budget de 33,5 millions d’euros que la filière des huiles et protéines végétales alloue à la recherche, au développement, à l’innovation et au transfert. Cap Protéines s’inscrit, ainsi, dans le cadre du Plan de relance relatif aux protéines végétales, doté par le gouvernement de 100 millions d’euros sur deux ans.
Grâce à cet investissement massif, l’impulsion est bien au rendez-vous ! Il porte comme objectif principal la souveraineté protéique de la France à l’horizon de 2030. Aux manettes, les deux instituts techniques, Terres Inovia et l’Institut de l’Élevage, se sont vu confier le pilotage du projet. Concrètement, 100 000 producteurs d’oléoprotéagineux, plus de 100 000 éleveurs de
ruminants français, 200 partenaires techniques et 330 fermes pilotes pour l’élevage sont concernés par Cap Protéines. En outre, plus de 600 parcelles de légumineuses à graines (pois, féverole, lupin, soja,lentille, pois chiche) sont suivies.
Le programme Cap Protéines s’est donné comme feuille de route de :
- diversifier les assolements par l’innovation (nouvelles variétés, solutions deprotection des cultures, techniques agronomiques...), l’introduction massive des légumineuses dans les systèmes de culture pour passer de 2 à 10 % des assolements à horizon 2030 et la préservation des productions d’oléoprotéagineux malgré les aléas climatiques et des restrictions phytosanitaires ;
- faire évoluer les pratiques culturales par le diagnostic agronomique, grâce à un meilleur pilotage des systèmes de culture par des outils numériques performants, et la formation des conseillers et des agriculteurs pour penser les productions en systèmes de culture ;
- rechercher de nouveaux modèles de productions : génétique animale et végétale, nutrition des plantes, optimisation des intrants ;
- développer et diversifier les productions fourragères riches en protéines pour les troupeaux ;
- proposer des alternatives au tourteau de soja dans l’alimentation des animaux.
Des résultats au rendez-vous de cette première année
En moins d’un an, Cap Protéines a su fédérer les partenaires et porte déjà des résultats. En
cohérence avec les plans de filières dans les territoires, il s’inscrit sur le terrain et malgré un
contexte climatique compliqué, laissant entrevoir de belles perspectives. Une impulsion à préserver et à encourager pour qu’elle puisse se pérenniser. Reste à assurer la continuité. De l’acquisition de références nouvelles aux déploiements sur les exploitations, la transition demande du temps. Les défis techniques l’exigent ! Si Cap Protéines donne l’impulsion, celle-ci doit se poursuivre aussi bien pour la partie graines que fourragère.
Les premiers résultats de Cap Protéines
Du côté des producteurs d’oléoprotéagineux
- myVar®, l’outil d’aide au choix variétal de Terres Inovia, s’enrichit de trois nouvelles espèces (13 fiches variétés pour le pois chiche, 8 pour la lentille et 13 pour le lupin sont consultables gratuitement en ligne) et de listes recommandées de pois et de féverole pour les semis 2022.
- La lentille est évaluée pour la première fois par Terres Inovia et ses partenaires, soit 71% des variétés cultivées en France. Pour le pois chiche, Cap Protéines a permis d’étoffer le réseau et ainsi d’évaluer 54% des variétés cultivées en France.
- Le laboratoire de Terres Inovia à Ardon (Loiret) étudie des alternatives aux traditionnelles méthodes Kjeldahl (chimique) et Dumas (combustion) pour mesurer plus rapidement les teneurs en protéines des graines de tournesol. L’analyse par résonance magnétique nucléaire (RMN) se positionne en option prometteuse. L’expérimentation devra être menée sur un plus grand nombre d’échantillons pour envisager une utilisation en routine.
- Un observatoire de la qualité des graines de lentille et pois chiche a été créé. Des échantillons ont été collectés sur l’ensemble des bassins (historiques ou nouveaux) de production. Leurs analyses par le laboratoire de Terres Inovia à Ardon sont terminées. L’objectif est de reproduire la démarche sur la campagne 2022 afin d’aboutir à une fiche de synthèse sur les deux années, de façon à avoir une couverture historique.
- Terres Inovia et ses partenaires ont mis en place de nombreux observatoires agronomiques sur le territoire afin d’acquérir des références puis de les partager aux techniciens, conseillers et agriculteurs. En 2021, soja, lentille, féverole, pois, pois chiche et lupin ont été implantés sur plus de 400 parcelles dans de nouveaux bassins de production. 10 plateformes d’essais ont été mises en place sur ces cultures et des visites ont été organisées. L’expérience sera répétée en 2022.
- Afin d’accompagner la transition agro-écologique des exploitations, six territoires pilotes ont été choisis. L’objectif est de répondre aux ambitions de développement de la souveraineté protéique et d’atteindre la multiperformance (technique, économique et sociale). La démarche implique 6 formateurs de Terres Inovia, 35 conseillers agricoles et 129 agriculteurs.
- Des itinéraires techniques de rupture en colza sont testés par Terres Inovia avec notamment le semis de variétés de printemps à l’automne.
- Tournesol et soja biologiques : en 2021, 26 variétés de tournesol (26) et 13 de soja testées sont européennes et non françaises comme à l’accoutumée. Les paramètres évalués par Terres Inovia sont : le rendement, le rendement en huile, le rendement en protéines.
- Terres Inovia a finalisé plusieurs solutions digitales en 2021 : EvA évalue le risque aphanomycès ; trois autres outils estiment le risque lié aux ravageurs sur colza (charançon du bourgeon terminal, altise adulte et larves de grosse altise).
- Dans le cadre de travaux sur les tourteaux de colza et de tournesol bien décortiqués et bien des huilés : les équipes de Terres Inovia ont réussi à produire du tourteau de tournesol à plus de 50% de protéines (contre un maximum de 27% en non décortiqué) uniquement par du pressage (sans solvant) avec des teneurs en huiles résiduelles très basses (de l’ordre de 5 %) ; et du tourteau de colza à 42% de protéines et 6% d’huiles. Dans les deux cas, la solubilité des protéines est exceptionnelle, soit plus de 80% de solubilité dans la potasse, permettant une augmentation de la digestibilité et la préservation des acides aminés (notamment la lysine).
- Terres Inovia et ses partenaires organisent deux concours d’innovation autour du thème de la transition vers la consommation de protéines végétales dans l’alimentation humaine. Le premier, intitulé Cap Protéines Challenge, est destiné aux seuls étudiants embarqués pour 5 mois de réflexion sur leur idée originale. Lors de son sacre le 10 mai, la plus convaincante des huit équipes se verra offrir notamment un accompagnement à la réalisation de son projet. Le second concours baptisé Idéathon est ouvert à un plus large public [les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 23 mars sur "nourrir la créativité" et se déroulera sur la journée du 30 mars.
Du côté des éleveurs
- Dans la partie élevage du projet mené par l’Institut de l’Élevage, les essais agronomiques et zootechniques sont lancés et relayés par des plateformes de démonstrations dans les lycées agricoles.
- En Normandie, un essai à la ferme expérimentale de La Blanche Maison confirme l’intérêt des prairies multiespèces pour l’engraissement des bœufs et des génisses. Ces prairies riches en légumineuses (luzerne et trèfle) ont permis d’économiser environ 700 g de concentré azoté par jour pour l’alimentation des animaux.
- En Bretagne, à la ferme expérimentale de Trévarez, les vaches pâturant des prairies avec 80 % de trèfles ont ingéré cet été un kilo de tourteau de moins par jour et par animal que les vaches laitières restées en bâtiment avec de l’ensilage de maïs. Toujours à Trévarez, deux essais sur le pâturage hivernal sont en place. En ce moment, l'alimentation de génisses de plus de 15 mois est constituée uniquement de pâturage, sans aucun apport de correcteurs azotés.
- En Pays de la Loire, sur la station expérimentale de La Jaillière, l’intégration d’ensilage d’herbe de bonne qualité et de maïs épi dans la ration des vaches laitières, en substitution des concentrés protéiques et du maïs fourrage, a permis de réduire l’utilisation de tourteaux de 50 à 70 %. Les performances animales et économiques ont été variables selon le niveau de préfanage de l’ensilage d’herbe.
- En Nouvelle-Aquitaine, des essais ont montré que l’utilisation de pois dans la ration des agneaux de bergerie pouvait réduire le coût de la ration de 6 à 8 € par agneau par rapport à un aliment complet. Avec des pois toastés, la consommation d’aliment est diminuée d’environ 5 kg par rapport au pois cru. Toutefois, cette économie ne compense pas le surcoût du toastage.
- En région Centre, Bretagne et Nouvelle-Aquitaine, des essais ont comparé le maïs à différentes cultures fourragères d’été (sorghos mono et multi-coupes, moha, millet, teffgrass...). L’été humide de 2021 a été très favorable à la pousse du maïs. Les espèces multicoupes, à récolter ou pâturer, ont présenté des résultats bien en retrait mais un meilleur équilibre entre énergie et protéines.
Sur l’île de la Réunion
- A ce jour, 100% du soja consommé sur l’île de La Réunion est importé. Pour pallier cette dépendance, Terres Inovia et ses partenaires ont débuté une série d’essais sur la culture du soja bio dans le DOM. C’est une première puisque cette espèce n’y a jamais été cultivée. L’expérimentation teste plusieurs dates de semis pour diverses variétés. Après deux essais infructueux, le 3e a pu être récolté juste avant le cyclone de janvier 2022.
- A La Réunion, une culture associant du maïs et une légumineuse tropicale, le zantaque, a montré des gains en matière azotée totale de 1,4 à 2,8 points par rapport à du maïs seul. Cependant, les densités de zantaque sont à adapter en fonction de l'agressivité de la variété de maïs utilisée, afin de limiter les phénomènes de concurrence entre les deux cultures.
Tous ces résultats ne sont encore que provisoires et de nouveaux essais sont prévus afin de
confirmer ou non ces premières tendances. La recherche agronomique et zootechnique a besoin de nombreuses références avant de proposer des solutions vérifiées.
La responsabilité des ministères en charge de l’agriculture et de l’économie ne saurait être engagée.
1Sondage BVA. Image de l’agriculture auprès des Français en 2021