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Gestion concertée des ravageurs à l’échelle d’un territoire de 1300 ha : Point d’étape deux ans après le démarrage du projet R2D2

25 nov. 2022

Le projet en quelques mots…

R2D2 est un projet DEPHY EXPE mis en œuvre sur un territoire de 1300 ha situé sur les plateaux de Bourgogne dans l’Yonne. Il vise à accompagner un collectif de 10 agriculteurs producteurs de grandes cultures dans la mise au point d’un projet de territoire visant à réduire les dégâts d’insectes ravageurs tout en limitant les applications d’insecticides. Pour y parvenir, sont mobilisés : les régulations biologiques, des leviers agronomiques destinés à renforcer la robustesse des cultures et aussi des stratégies visant à réduire les pressions d’insectes ravageurs à l’échelle du territoire comme les intercultures pièges.

Découvrir la page dédiée au projet R2D2

 

Couvert d’interculture radis chinois pour piéger les altises d’hiver

Couvert d’interculture contenant 20 pieds/m² de radis chinois pour piéger les altises d’hiver

​​​​​​​Dix agriculteurs engagés dans une reconception de leurs systèmes en profondeur

Les agriculteurs du projet sont habitués à travailler ensemble et font également partie d’un groupement d’achat. Avant l’arrivée du projet, certains recherchent et expérimentent déjà sur leur ferme des solutions pour réduire l’utilisation d’insecticides : ils diversifient leurs assolements, mettent en place des leviers alternatifs et dans certaines situations prennent le risque de ne pas traiter.

Dans le secteur de Courson-Les-Carrières où le projet se met en place, on est loin de la succession classique Colza/Blé/Orge puisque le territoire compte en moyenne une douzaine d’espèces dont le tournesol, le pois, la luzerne et même le chanvre pour lequel un débouché local existe.
Ce goût pour l’exploration de nouvelles pistes et l’envie de réinventer leur métier d’agriculteur a conduit les exploitants à intégrer le projet R2D2 et à donner un coup d’accélérateur à leur démarche naissante.

Au cœur du projet, la problématique de gestion des ravageurs d’automne du colza devenus résistants aux insecticides : ils occasionnent des dégâts importants et fragilisent la structure des exploitations pour lesquelles le colza est un des piliers.

Une évaluation pour rendre compte des changements

Deux ans après le démarrage du projet R2D2, Terres Inovia, en tant que pilote a décidé de procéder à une évaluation du projet. Elle a été réalisée début 2022 par Noémie CADEDDU, étudiante à l’ISARA Lyon dans le cadre de son stage de fin d’étude. Noémie s’est employée à rendre compte des changements qui ont eu lieu dans les exploitations impliquées dans le projet depuis son commencement en début d’année 2020, en ayant une approche territorialisée. Pour cela, elle a mis au point une méthode d’analyse spécifique s’appuyant sur des indicateurs calculés à l’échelle du territoire. Elle a mobilisé deux sources d’information : d’une part les données saisies par les agriculteurs dans leurs outils de saisie et d’autre part des données collectées dans le cadre d’entretiens semi-directifs individuels effectués au printemps 2022.

Ainsi, ont été analysés les changements de pratiques opérés par les agriculteurs et notamment la mise en œuvre de pratiques alternatives à la lutte chimique contre les ravageurs, et aussi les performances des exploitations du territoire. Parmi les pratiques alternatives à la chimie recensées dans l’évaluation, ont compte : les pratiques destinées à favoriser la robustesse des cultures (décalages de dates de semis, associations d’espèces…), celles destinées à créer des conditions défavorables aux ravageurs à l’échelle paysagère (intercultures pièges à altises) et celles destinées à favoriser les régulations biologiques (semis de bandes fleuries, plantations de haies…).
Le stage de Noémie a visé également à détecter les changements plus subtils qui ont pu s’opérer depuis l’arrivée du projet notamment dans les processus décisionnels des agriculteurs relatifs à la gestion des ravageurs. Au-delà des changements de pratiques concrets apparu sur le territoire, il apparaissait en effet important de comprendre si le projet avait amené des évolutions dans la perception du risque lié aux insectes par les agriculteurs, dans les stratégies de gestion de ces insectes et particulièrement le niveau de raisonnement des interventions chimiques.

Colza, un bilan très positif

En 2021, 130 ha de colza étaient implantés. Les agriculteurs se sont beaucoup investis sur cette culture présentant un enjeu fort pour les exploitations du secteur. Les leviers agronomiques destinés à renforcer la robustesse du colza ont ainsi nettement progressé depuis l’arrivée du projet sur le territoire, sous l’impulsion de l’accompagnement individuel et collectif réalisé et aussi suite à la mise en place de plateforme d’essais..

  2019 2021
Surface de colza fertilisée au semis 94 % 100 %
Surface de colza avec semis précoce 0 % 46 %
Surface de colza en association avec une autre espèce cultivée 33 % 65 %

Evolution des surfaces de colza concernées par les leviers agronomiques depuis l’arrivée du projet

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Colza associé implanté sur la plateforme 0 insecticide de 15 ha

​​​​​​​Ensuite, en 2021 et pour la deuxième année consécutive, des intercultures « pièges à altises » ont été implantées par 6 agriculteurs. C’est un levier dont la mise en place est directement issue des réflexions entreprises dans le cadre du projet et qui se déploie aujourd’hui sur 21% des surfaces du territoire.

Ces surfaces pièges ont deux objectifs : premièrement celui de détourner une partie des altises des champs de colza afin de limiter les dégâts l’année N, et deuxièmement, de limiter l’émergence d’adultes en N+1 en détruisant les couverts tandis que les insectes sont dans les plantes sous forme larvaire.

La forte mobilisation des agriculteurs autour de la culture de colza motivée par le projet s’est traduit par plusieurs résultats notables en 2021 à l’échelle du territoire : un rendement moyen de 27.1 q/ha pour 130 ha cultivés et un IFT insecticide qui a chuté de 78% entre 2019 et 2021 avec malgré tout de fortes pressions d’altises d’hiver.

Cette diminution de l’IFT en colza s’est accompagnée d’une modification des processus décisionnels des agriculteurs vers d’avantage de raisonnement de leurs interventions chimiques. Dans le schéma décisionnel d’un agriculteur, un traitement dit « systématique » est mis en œuvre quoi qu’il advienne pendant la campagne. C’est un traitement chimique d’assurance destiné à prévenir les dégâts qui n’est soumis à aucune règle de décision, tandis qu’un traitement dit « optionnel » est un traitement qui n’est réalisé que sous certaines conditions (seuil de dégât atteint, pression d’insectes supérieure à un seuil…). Ainsi, en 2021, sur la culture du colza, 100% des traitement présents dans le schéma décisionnel des agriculteurs sont optionnels alors qu’en 2019, 60% des intervention étaient systématiques.

 

Des actions concertées qui ont permis un changement d’échelle

Les 270 ha d’intercultures pièges implantées en 2021 de même que les 8ha de bandes fleuries semées par les agriculteurs pour favoriser le contrôle biologique des ravageurs démontrent la capacité du collectif à opérer un changement d’échelle et à mettre en place des actions concertées. Cela matérialise le passage à une compréhension plus globale de la problématique de gestion des insectes ravageurs intégrant des paramètres qui dépassent le cadre de la parcelle agricole et celui de l’exploitation et aussi la volonté de mutualiser les efforts pour l’atteinte d’un objectif commun. Les ateliers de travail collectifs donnent le cadre nécessaire à ces réflexions et à l’organisation concrète des chantiers.

 

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Atelier de travail collectif pendant lequel les agriculteurs travaillent au positionnement des intercultures pièges

​​​​​​​Des résultats encourageant mais une cible encore lointaine…

En dépit des premiers succès rencontrés, la cible visée en fin de projet de 1 IFT herbicide et 0 IFT insecticide n’est pas encore atteinte et jugée par les agriculteurs eux-mêmes comme très ambitieuse. Cependant, soulignons que le projet n’a démarré que depuis deux ans et que d’ores et déjà, les valeurs d’IFT herbicides et insecticides, respectivement de 1.5 et 1.2 sont inférieures aux références nationales dont les valeurs sont de 1.9 et 2.1 en 20172.

De plus, l’appropriation massive de pratiques alternatives à la chimie par l’ensemble du collectif et les changements opérés dans les processus décisionnels démontrent la pertinence du projet R2D2 et son utilité pour une gestion des ravageurs plus raisonnée et intégrative.
En 2021, le projet R2D2 est devenu la principale source d’information des agriculteurs pour prendre leurs décisions. En améliorant le partage d’informations scientifiques et techniques, la mise en réseau et la coopération entre agriculteurs, le projet R2D2 a aussi joué un rôle de catalyseur pour ce collectif déjà formé et mûr pour entreprendre des changements de systèmes.

Perspectives

Les résultats de l’évaluation encouragent à travailler encore davantage pour aider les agriculteurs à mieux quantifier les risques associés aux ravageurs et à poursuivre les efforts entrepris pour la création d’un territoire plus fonctionnel vis-à-vis des régulations biologiques et le déploiement de leviers favorisant la résilience des systèmes. Les efforts devront se concentrer sur la réduction des traitements insecticides systématiques qui sont encore parfois pratiqués notamment sur céréales vis-à-vis du risque pucerons. Nous travaillons actuellement au renforcement de la stratégie d’accompagnement du groupe avec le déploiement de nouveaux outils permettant de mieux piloter le changement (tableaux de bord) et d’accélérer le partage d’informations directement issues des suivis au champs.

1Partenaires : Chambre d’Agriculture 89, Soufflet Agriculture, SeineYonne, Dijon Céréales, INRAE, Arvalis-Institut du végétal.

2Agreste Chiffres et Données N°2019-3, Juin 2019.

​​​​​​​Contact : Nicolas CERRUTTI : n.cerrutti@terresinovia.fr