Renforcer la résilience des systèmes agricoles avec Concerto
Renforcer la résilience des systèmes agricoles avec Concerto
Le 24 novembre dernier, Terres Inovia a organisé une journée terrain, à Mouffy (89), autour du projet Concerto, qui vise à atténuer les dégâts d’insectes sur le colza sans recours à l’insecticide. En partenariat avec Terres Inovia, le célèbre agro-climatologue Serge Zaka est intervenu pour éclairer les agriculteurs sur les impacts du changement climatique et les conforter dans la pertinence de l’approche paysagère pour renforcer la résilience des systèmes agricoles.
Dans la salle culturelle de Mouffy, un petit village de l’Yonne à une trentaine de minutes d’Auxerre, plus d’une centaine d’agriculteurs, parfois venus de loin, n’auraient pas manqué la première journée technique d'une telle ampleur organisée autour de Concerto.


Plus d'une centaine de personnes étaient réunies, ce 24 novembre, pour la première journée technique de Concerto
Ce projet, piloté par Terres Inovia et créé dans le prolongement des travaux de R2D2, vise à expérimenter des leviers innovants et une approche concertée à l’échelle territoriale pour atténuer les dégâts de ravageurs et notamment ceux de l’altise d’hiver et du charançon du bourgeon terminal du colza, sans aucun recours aux insecticides. Surtout, l’événement recevait un invité de marque : Serge Zaka, agroclimatalogue et chercheur en modélisation, souvent qualifié de lanceur d’alerte sur les impacts du changement climatique qui a proposé des stratégies concrètes pour en atténuer les effets.
Trois axes de travail actionnant chacun plusieurs leviers pour se passer d’insecticides

Le projet Concerto, dans le prolongement de R2D2, permet à un collectif d'agriculteurs d'obtenir des systèmes plus résilients
Dans le prolongement des travaux de R2D2, Concerto est un projet DEPHY EXPE 3 financé par l’OFB, né en janvier 2025 pour accompagner un collectif d’agriculteurs à développer des systèmes plus résilients vis-à-vis des dégâts d’insectes et se passer ainsi progressivement d’insecticides. Des leviers sont ainsi déployés de l’échelle parcellaire à l’échelle paysagère afin de prévenir les dégâts de ravageurs par des moyens non chimiques sur un territoire d’un millier d’hectares au cœur des plateaux de Bourgogne. Nicolas Cerrutti, chargé d’études, et Michael Geloen, ingénieur de développement de Terres Inovia, ont pu expliciter en détail les trois axes de travail innovants mis en œuvre dans le cadre de Concerto sur la culture du colza :
Renforcer le contrôle biologique
- Alimenter les parasitoïdes par des bandes fleuries annuelles
- Favoriser l’émergence des adultes par le recours à un semis direct après colza, évitant ainsi de les détruire
- Améliorer leur circulation et leur dispersion via des bandes réservoirs.
Piéger les altises
Le projet Concerto déploie chaque année 250 à 300 h d’intercultures pièges pilotées, contenant du radis chinois, à l’échelle du territoire. Elles attirent les altises, les détournent partiellement du colza et permettent de casser le cycle de développement des altises au moment de la destruction de ses couverts.
Atténuer les dégâts sur le colza en renforçant la robustesse des plantes par un semis avant le 15 août, la fertilisation au semis et l’association de la culture avec de la féverole.
Le projet Concerto met en œuvre une combinaison de leviers complémentaires qui reposent sur des processus biologiques pour contrôler les ravageurs. « Il est possible de renforcer le contrôle biologique de l’altise en favorisant l’alimentation, la circulation et la protection des parasitoïdes d’intérêt », explique Nicolas Cerutti.
Ce levier est associé à un système d’intercultures pièges pour détourner partiellement les grosses altises des parcelles de colza en utilisant une autre crucifère attractive, le radis chinois. « Ces intercultures seront ensuite détruites mécaniquement en hiver, ce qui permettra de supprimer les larves contenues dans les plantes, et ainsi de rompre avec le cycle biologique du ravageur ».

Le système des intercultures pièges pilotées
Dans ce contexte, l’enjeu est donc « d’augmenter la capacité d’accueil, sur le territoire, des insectes auxiliaires de culture et faciliter leur alimentation et leurs déplacements grâce aux habitats semi-naturels et de créer un environnement défavorable aux ravageurs grâce aux plantes pièges ».
Une fois ces deux leviers activés, le dernier rempart contre les insectes est le colza robuste « un semis précoce, le choix de variétés à croissance rapide et dynamique en début de cycle et une association avec des légumineuses permettent de créer des plantes robustes, qui sauront être plus résilientes face aux attaques des ravageurs ».
Kevin Perrault, agriculteur à Fontenailles« Les attaques des grosses altises ont été nettement diluées »Dans son exploitation de 170ha, il fait partie des producteurs de la première heure à avoir testé, depuis le lancement de R2D2 il y a six ans, les leviers vertueux préconisés par R2D2 et Concerto pour réduire les attaques des ravageurs sur ses parcelles de colza. Quelles sont les pratiques que vous expérimentez sur votre ferme pour réduire les insecticides ? Je mets en place des couverts d'intercultures, avec du radis chinois notamment, pour attirer les altises. J’ai aussi planté 1,5 ha de bandes fleuries. Les parcelles de colza sont également associées à des plantes compagnes, avec, selon les années, du fenugrec, du lin et de la lentille. Depuis un an, nous avons testé la féverole, qui donne de très bons résultats. Avez-vous pu observer des effets de ces pratiques sur les cultures ? Les attaques de grosses altises sont nettement plus diluées, notamment avec les couverts, et les invasions de charançons du bourgeon terminal sont moins problématiques. Vous vous passez alors complétement d’insecticides ? Oui, quand c’est possible, ou nous les utilisons vraiment en dernier recours. Par exemple, cette année, le problème c’était les criquets. Il a fallu retravailler le sol pour supprimer leurs habitats naturels et utiliser un peu d’insecticide pour les supprimer complétement. Mais c’est une pratique qui reste très limitée. Avec la mise en place de ces leviers, qu’en est-il de la rentabilité de l’exploitation ? Les rendements sont stables et les charges sont moins élevées. C’est donc très positif.
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Serge Zaka : une combinaison de l’approche paysagère et de l’agronomie

L'agroclimatologue Serge Zaka est intervenu pour epliquer les stratégies d'anticipation à actionner pour les grandes cultures en réponse au changement climatique
Cette journée technique a été aussi l’occasion d’écouter l’agro-climatologue et modélisateur Serge Zaka. Ce scientifique, à la tête d’AgroClimat 2050, s’est fait connaître comme lanceur d'alerte sur les impacts du changement climatique sur la production agricole. « Nous avons souhaité inviter Serge Zaka car nos préoccupations et pistes d'adaptation se rejoignent : miser sur l'agronomie (matières organiques) et le paysage (haies et arbres) pour limiter l'impact du changement climatique sur les cultures, explique Michael Geloen. Il nous a montré grâce à ses simulations et cartographies que des adaptations étaient possibles mais que la mise en place de pratiques spécifiques étaient nécessaires ».
Le scientifique a en effet expliqué aux agriculteurs présents qu’il est « important que le grand public comprenne que le changement climatique peut induire des pertes de rendement chez les agriculteurs ». Avec une hausse de 4 degrés de la température moyenne d’ici 2100, les cultures vont forcément devoir s’adapter. « Il faut accompagner et anticiper la vitesse de déplacement des cultures dans les aires géographiques ».
Or, l’architecture du paysage peut modifier les effets du changement climatique. « Le rôle des haies, des forêts et de la gestion de l’eau vont être essentiels. Il faut trouver un équilibre entre l’arbre et la plante. » L’agro-climatologue a notamment présenté une simulation de l’impact du changement climatique sur les grandes cultures et l’élevage, mais aussi les effets vertueux de pratiques comme l’agroforesterie et l’agriculture de conservation des sols. « Les systèmes en semis direct, par exemple, présente davantage de vers de terre, avec majoritairement des anéciques. On retrouve une diversité plus forte d’espèces de mycorhizes avec certaines espèces uniquement présentes en système de semis direct », a notamment expliqué Serge Zaka.
Nicolas Cerutti, pilote du projet Concerto« La pertinence de l’approche paysagère conforté pour s’adaptent au changement climatique »« L’intervention de Serge Zaka a mis en lumière l'importance des haies et des éléments arborés pour renforcer la résilience des systèmes agricoles face au changement climatique, avec un effet sur le cycle de l’eau et la régulation thermique des parcelles cultivées. L’analyse scientifique de Serge Zaka conforte ainsi la pertinence de l’approche paysagère, promue depuis sept ans par R2D2 et aujourd’hui Concerto. L'action collective et territoriale, en intégrant l’environnement non cultivé et l’échelle paysagère, est indéniablement plus pertinente que les stratégies individuelles pour atténuer les dégâts de ravageurs par des moyens non chimiques et s'adapter au changement climatique ». |

Un temps a été consacré à une visite terrain au coeur d'une exploitation
La journée s’est ensuite poursuivie sur le terrain, au cœur de l’exploitation de Denis Perrault, à Fontenailles, où Nicolas Cerutti a animé un atelier sur la création d'un paysage fonctionnel en termes de biodiversité. Les agriculteurs ont pu également se rendre, au sein de cette exploitation, sur la plateforme d’expérimentation « zéro insecticides », réalisée en partenariat avec la Chambre d'agriculture de l'Yonne.
Paroles d’agriculteursIls étaient à la journée terrain de Concerto. Qu’en ont-ils pensé ? « Ce qui a été expliqué durant cette journée me conforte dans la transition de mon exploitation vers l’agriculture de conservation. Je vais notamment planter des haies et, depuis plusieurs années, je mets en place des couverts réguliers et permanents, avec aussi plus de légumineuses, pour améliorer nos sols. Ces pratiques permettent de réduire les intrants, mais surtout de réduire le travail du sol, faire des économies de fioul, et j’arrive à avoir des rendements équivalents aux exploitations voisines qui travaillent de manière plus conventionnelle. C’est très positif ». Michel R. « Le colza est notre culture principale, je voulais améliorer la productivité de l’espèce, notamment pour limiter les invasions de ravageurs. Je sème de plus en plus tôt pour avoir des colzas plus robustes, cela permet de diminuer l’utilisation des intrants. J’ai également testé l’association de plantes compagnes au colza, j’ai pu ainsi faire l’économie d’engrais et d’insecticides. Ces leviers sont intéressants pour essayer d’arrêter les insecticides ». Julien B. « Je suis ici pour voir quelles évolutions je peux apporter sur mon exploitation. J’ai essayé de mettre en place des cultures bios, je réduis le travail du sol. Tout ce qui a été expliqué permet d’avoir des pistes pour anticiper les effets climatiques, comme le choix des variétés, adapter les dates de semis. Je me rends compte déjà que la luzerne et le trèfle, par exemple, attirent les insectes. Une diversification plus importante est essentielle ». Alain C. |