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Recherche : les pistes à l’étude pour mieux lutter contre les maladies et ravageurs du colza

21 sept. 2022

Quelles stratégies de protection intégrée sont à l’étude à l’échelle européenne pour contrôler les maladies et ravageurs du colza ? Le colloque IOBC-ICOC, qui a eu lieu en mai 2022, a fait le point sur les connaissances en cours. Les spécialistes de l’institut étaient présents.

La protection des ravageurs du colza est un enjeu stratégique pour les producteurs en France et plus largement en Europe. C’est pourquoi s’informer des travaux de R&D pour mieux y faire face est essentiel. C’était justement l’objectif de l’International Organization for Biological (IOBC) and Integrated Control Working Group on Integrated Control in Oilseed Crops (ICOC), qui a eu lieu les 17 et 18 mai 2022, en format distanciel. Il a d’ailleurs été suivi par le Workshop International sur la Hernie des Crucifères (ICW), l’une des maladies majeures du colza. 200 participants ont assisté à ces deux colloques internationaux.

Que retenir sur les maladies ?

Les sujets du colloque IOBC-ICOC se sont répartis à travers 17 présentations orales et 6 posters traitant essentiellement du phoma, de la hernie et du sclérotinia.

  • La caractérisation des souches de Leptopshaeria maculans, agent causal du phoma, est crucial pour proposer aux agriculteurs les variétés avec un profil de résistance adapté. La dernière étude menée en France, présentée par Marie-Hélène Balesdent (INRAE), a permis de caractériser 832 isolats de phoma entre 2019-2020 : la plupart des isolats étaient avirulents face à aux gènes de résistance Rlm6, Rlm11 et RlmS, suggérant l’efficacité de ces gènes pour contrôler la maladie.
  • L’INRAE Bioger (Talbi et al.) a également entrepris avec d’autres équipes de recherche des travaux pour mieux comprendre les interactions épistatiques entre gènes Avr du champignon. En effet, AvrLm4-7 supprime la reconnaissance de AvrLm3 et AvrLm5-9 par les protéines R Rlm3 et Rlm9. Cette analyse est une première étape vers la compréhension des résistances à large spectre qui peuvent permettre la gestion des maladies multi-pathogènes.
  • Plusieurs travaux ont fait mention de méthodes pour faire progresser la résistance du colza. L’équipe INRAE Bioger Paris-Saclay (Rouxel et al.) a établi une méthode pour exprimer des effecteurs tardifs du champignon dans les cotylédons du colza et rechercher des sources de résistance quantitatives à des stades précoces. Les résultats ont été prometteurs avec l’identification de génotypes qui sont apparus résistants. L’identification d’une interaction gène-pour-gène tardive dans les tiges de colza ouvre de nouvelles voies pour construire des variétés de colza à résistance durable. L’équipe INRAE IGPEPP du Rheu (Chèvre et al.) a proposé des stratégies visant à faciliter l’introgression d’un gène de résistance Rlm 10 dans le colza depuis la moutarde. Enfin, une équipe polonaise (Niemann et al.) a développé des marqueurs associés aux gènes de résistance pour aider à la sélection du colza.

  • La connaissance de l’agent pathogène responsable de la hernie, Plasmodiophora brassicae : en Allemagne (Namani-Noor et al.), des pathotypes ont été confrontés à 86 espèces végétales pour identifier les plantes hôtes et non hôtes. Les résultats suggèrent une diversité d’hôtes plus grande que ce qui est connu.
  • Le biocontrôle pour tenter de réduire l’impact de la hernie, avec l’utilisation de Pseudomonas protegens ou Acremonium alternatum (Auer et al., Yamen et al.), dont les résultats semblent dépendants des pathotypes. Plusieurs équipes (Wang et al., Schwelm et al.) se sont intéressées aux interactions sol-hernie. L’importance des communautés bactériennes pour favoriser ou non la stimulation de la germination des spores de hernie a notamment été suggérée.
  • La résistance génétique du colza : l’identification de facteurs de résistance chez le chou, spécifique ou non aux isolats testés (INRAE IGEPP, Delourme et al.), peuvent être introgressés chez le colza. Ces sources de résistance sont indispensables pour améliorer la résistance du colza avec l’évolution de la virulence des pathotypes. Pour Arabidopsis thaliana, les travaux de l’INRAE (petitpas et al.) soulignent que l’architecture épigénétique de la résistance peut être modulé par les conditions environnementales. Enfin, le GEVES a présenté l’avancée du projet Opitplasm qui a pour objectif d’améliorer les tests d’inscription des variétés de colza en France pour le critère de résistance hernie.

Les caractéristiques morphologiques et de pathogénicité de 57 isolats de sclérotinia prélevés en 2020-2021 en Allemagne (Zamani-Noor) ont été évaluées. De la variabilité a été observée pour tous les critères, y compris pour l’agressivité. Des constats déjà opérés dans d’autres pays. L’équipe allemande (brand et al.) a tenté de mettre à jour les données environnementales affectant le modèle SkleroPro, qui aide à prévoir le stade optimal pour appliquer les fongicides en Allemagne. Mais ce modèle basé sur la météo ne prend pas en compte certains facteurs, dont la quantité d’inoculum initiale.

Que retenir sur les insectes ?

L’équipe de Laurent Ruck, responsable des insecticides et du biocontrôle chez Terres Inovia, a présenté l’état des lieux de la résistance des coléoptères ravageurs du colza en France aux pyréthrinoïdes, en particulier de l’altise d’hiver et du charançon du bourgeon terminal.

Pour limiter les effets non intentionnels des traitements, une autre équipe (Hausmann et al.) a, testé l’intérêt de pulvériser dans le couvert plutôt qu’au-dessus à l’aide d’un pulvérisateur équipé de pendillards. Cette technique permet de réduire les résidus dans le nectar et le pollen par suite de traitements en floraison. Les taux de parasitisme du principal parasitoïde des méligèthes sont également plus élevés avec cette technique.

L’intérêt de la technologie des ARN interférent (ARNi) est discuté par d’autres chercheurs (Willow et Veromann). Ces ARNi sont capables de se lier à l’ARN messager (ARNm) d’un gène clé pour une espèce de ravageur considéré et de le dégrader. Ainsi, la traduction de l’ARNm en protéine ne s’effectue plus et conduit à la mort de l’insecte. Cette technologie présente l’intérêt de pouvoir être très spécifique et d’éviter les effets non intentionnels sur les autres espèces. Les auteurs nous ont présentés la complexité, les inconnues et les obstacles à la réalisation de progrès dans ce secteur, comme le manque de connaissances sur la physiologie des ravageurs, ou les étapes nécessaires dans les domaines de la bioinformatique, les études en laboratoire, en conditions semi-contrôlées ou au champ.

Des champignons entomopathogènes, des bactéries et des acides gras contre les altises d’hiver ont également été testés en laboratoire (Horau et al.), par contact direct ou ingestion. Les champignons entomopathogènes et les acides gras ont montré des résultats prometteurs.

On assiste à une montée en puissance de cette thématique de travail : le nombre de présentations sur cet axe augmente progressivement d’un congrès IOBC-ICOC à l’autre. Avec 5 présentations et de nombreux posters, cette session est devenue l’une des plus importantes.

Arnaud Van Boxsom, responsable de l’évaluation variétale de Terres Inovia, a profité de ce colloque pour présenter les méthodes et les résultats de ces dernières années sur l’évaluation des variétés pour leur vigueur et leur tolérance aux insectes d’automne.

Afin de développer de nouvelles stratégies de gestion des méligèthes, une autre équipe (Austel et ses collègues) a étudié la variation chimique naturelle de différentes espèces de brassicacées et mis en évidence des composés végétaux qui réduisent les dommages causés par l'alimentation des méligèthes. Ils ont dans un premier temps identifié des glucosinolates, flavonoïdes et saponines candidats qu’ils ont testé individuellement. Des saponines et la glucobarbarine (glucosinolate) présents uniquement chez B. vulgaris ont dissuadé les coléoptères de se nourrir. Ainsi les méligèthes sont bien adaptés aux composés de défense d'une large gamme d'espèces crucifères, mais pas aux composés spécifiques de B. vulgaris.

L’INRAE IGEPP et Innolea (Bellec et al.) travaillent également sur les méligèthes et notamment sur les métabolites de contact ayant un impact sur le comportement alimentaire, qu’ils soient stimulants ou dissuasifs. Des travaux antérieurs ont montré que la moutarde blanche (Sinapis alba) est moins bien acceptée que le colza (Brassica napus) et qu'il existe des variations entre les populations de moutarde. Les résultats obtenus dans cette étude confirment que le comportement alimentaire est en partie lié à l'effet de plusieurs composés présents dans le périanthe ayant un effet additif ou synergique.

Enfin, une équipe indienne (Panwar et al.) travaille au développement de variétés résistantes au puceron du navet, ravageur important en Inde. En introgressant des gènes de Brassica fruticulosa à B. juncea, ils ont obtenu des génotypes prometteurs pour réduire la survie des nymphes ainsi que la fécondité et la longévité des adultes de pucerons.

Une meilleure connaissance de la biologie et de l’écologie des ravageurs est une étape clé pour imaginer de nouvelles stratégies de gestion.

Ainsi, la prévision de la colonisation des cultures et de la répartition spatiale des ravageurs est essentielle pour une gestion efficace. Tixeront et son équipe ont travaillé sur l'altise d’hiver. Les résultats montrent que plus d'individus entrent dans la culture qu’ils n'en sortent, et que les coléoptères se déplacent rapidement vers le centre de la parcelle. Les captures se sont également révélées plus importantes le jour que la nuit. Le sex-ratio des individus capturés était à la fois équilibré et stable sur la période d'étude et la maturité sexuelle a eu lieu pendant l'expérimentation. Enfin, l'intégration des données d'échantillonnage avec les données météorologiques locales a montré que les captures dépendent de la température, de l'humidité et de la vitesse du vent.

Lundin et son équipe ont présenté des travaux sur la modélisation des dynamiques de population de l’altise du colza (Psylliodes chrysocephalus). Ils ont montré qu’il existait des cycles réguliers dans l’abondance des populations de cette espèce en Suède à l’échelle de plusieurs années. Les causes des fluctuations ne sont pas encore connues. Ces observations ouvrent cependant la voie à une éventuelle modulation de la lutte en fonction des niveaux de population attendus, si l’on était capables de les prévoir avec une précision suffisante.

Au Royaume-Uni, comme en France, la réduction des solutions de gestion (retrait des insecticides et apparition de populations résistantes aux pyréthrinoïdes) a engendré des pertes de production importantes. Des travaux sont donc en cours pour trouver de nouvelles stratégies de gestion. C’est ainsi que Ortega-Ramos et ses collègues ont cherché à mieux comprendre l'écologie de l’altise d’hiver et le rôle des micro-hyménoptères parasitoïdes. La date de semis, la superficie du champ et l'interaction entre la température et la pluie en septembre, octobre et novembre et la température moyenne en décembre et janvier ont eu un effet significatif sur le nombre de larves d’altises. De plus, grâce à l’utilisation de méthodes de biologie moléculaire (« barecoding »), cette équipe a pu étudier la distribution spatio-temporelle et le potentiel de biocontrôle de Microctonus brassicae, le principal parasitoïde attaquant les adultes d’altises. M. brassicae est répandu à travers le Royaume-Uni avec des taux de parasitisme allant de 0 à 36%.

Céline Robert, chargée d’études sur les ravageurs des cultures et la faune auxiliaire de Terres Inovia, a présenté ces règles de décisions et les outils associés pour estimer le risque lié aux larves d’altise d’hiver et au charançon du bourgeon terminal. En plus d’un indicateur de pression en ravageurs, l’estimation du risque intègre différents critères pour évaluer la dynamique de croissance du colza à l’automne puis au printemps.

En ouverture de cette session, la démarche du projet R2D2 (Ecophyto EXPE) piloté par Nicolas Cerrutti deTerres Inovia a été présenté. Le principe : dix agriculteurs d’un même territoire sont accompagnés pour concevoir et mettre en place pas à pas un projet de territoire mobilisant tous les leviers de la protection intégrée, en particulier ceux et favorables à la faune auxiliaire. Un focus a été réalisé sur l’une des stratégies mises en place à l’automne 2021 consistant à implanter de crucifères attractives dans des parcelles d’intercultures pour détourner les altises d’hiver des parcelles de colza.

L’équipe d’Hiltpold a présenté des résultats sur l’impact de féveroles associées au colza sur les ravageurs de printemps. En effet, dans ces essais, les féveroles n’ont pas gelé pendant l’hiver. En plus d’un effet sur les larves d’altises, elle a montré un impact sur les pontes de charançon de la tige du colza et les dégâts associés ainsi qu’une réduction des populations de méligèthes. L’impact sur le rendement est également positif.

La mise en place de bandes fleuries est, en outre, un levier important pour favoriser la faune auxiliaire. Gardarin et son équipe (INRAE Grignon) ont montré une augmentation significative du taux de parasitisme jusqu’à 20 mètres de distance sur le charançon de la tige du chou, sur l’altise et sur la bruche de la féverole. Les chercheurs ont constaté une relation croissante entre la proportion d’espèces permettant l’accès au nectar et le taux de parasitisme sur les champs. La morphologie des fleurs des espèces nectarifère joue ainsi dans l’accessibilité des espèces parasitoïdes au nectar. Il est donc important de concevoir des mélanges d’espèces dont les fleurs permettront l’accès physique des insectes parasitoïdes à la ressource trophique. Cette équipe (Pigot et al) s’est également interrogé sur le rôle de ces bandes en tant que site d’estivation pour les altises. Même si des altises d’hiver en estivation sont observés dans les bandes fleuries ou les anciens champs de colza, elles sont plus nombreuses dans les zones boisées.

Enfin, Sulg et son équipe ont montré que les méligèthes et leur ennemis naturels étaient moins abondants à plus de 500 mètres d’un ancien champ de colza. Quant à Heimbach et son équipe, ils démontrent un moindre niveau d’attaques de plusieurs ravageurs du colza, notamment de larves d’altises, dans des secteurs sans colza les années précédentes. Ainsi, le choix de la localisation des parcelles de colza peut être un levier de choix pour la mise en place de stratégies territoriales.

En écologie, les caméras sont principalement utilisées pour étudier les grands animaux tels que les mammifères, mais récemment, une plus grande attention a été accordée aux invertébrés. Ces cameras permettent par exemple d’identifier les prédateurs de ravageurs avec moins de biais que les méthodes classiques. Seimandi-Corda a présenté une étude où ces caméras sont utilisées pour suivre la prédation de larves de méligèthes et de cécidomyies des siliques placées au sol. De multiples événements de prédation ont été enregistrés, montrant que cette méthode peut produire des résultats utiles et fiables. Cette technique ouvre de nouvelles perspectives puisqu’il a été possible d'estimer le moment de la journée où les prédateurs étaient plus actifs et d'identifier la fenêtre temporelle où les larves sont plus à même d’être prédatées.

Bick et son équipe a proposé une étude dans laquelle des capteurs d'insectes à proche infrarouge, en plus de pièges plus classiques (cuvettes, pièges collants), ont été utilisées pour détecter les vols et la dispersion de méligèthes dans les colzas. Ce travail fournit des preuves de l'agrégation des coléoptères pollinisateurs dans un champ de colza, au milieu ou en bordure du champ, avant la floraison du colza. Ce travail confirme également que les insectes se dirigent face au vent. La stratégie d’échantillonnage doit donc être réfléchie en fonction de ces deux éléments. Enfin, les capteurs mis en œuvre ont permis une détection précoce et pourraient être utilisés pour fixer des seuils économiques pour une nouvelle stratégie de gestion.

 

Guerre russo-ukrainienne : les conséquences sur l’agriculture

En introduction de ce colloque, l’importance de l’agriculture de l’Ukraine a été présentée par Karlina Pawlak et Arkadiusz Sadowski (University of Life Sciences). La superficie agricole est d'environ 41 millions d'hectares, soit plus de 68% de la superficie totale du pays. L'Ukraine joue un rôle stratégique dans les exportations mondiales de blé, d'orge, de maïs, de colza et d'huile de tournesol. En 2020, les exportations ukrainiennes de ces cultures représentaient environ 10 % des exportations mondiales. En raison du conflit militaire entre la Russie et l'Ukraine, une suspension ou une réduction significative des exportations agricoles ukrainiennes est à prévoir, fragilisant la sécurité alimentaire de nombreux pays dont ceux de l’Afrique et du Moyen Orient. En France, David Gouache, directeur adjoint de Terres Inovia, a pu présenter tout l’intérêt du colza dans les systèmes de culture français mais aussi ses nombreux défis.

 

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