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Biodiversité fonctionnelle : Un atout pour les producteurs de grandes cultures

Article rédigé par
  • Nicolas CERRUTTI (n.cerrutti@terresinovia.fr), Michael GELOEN (m.geloen@terresinovia.fr), Stéphane CADOUX (s.cadoux@terresinovia.fr)
Biodiversité fonctionnelle : Un atout pour les producteurs de grandes cultures
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    Modifié le : 13 sept. 2023

    Qu’elle soit sauvage ou cultivée, végétale ou animale, commune ou patrimoniale, la biodiversité en milieu agricole est encore souvent perçue comme une source de nuisances. Tandis que les adventices, les insectes ravageurs et les maladies pénalisent les rendements, une importante diversité d’organismes utiles supportent des fonctions essentielles à l’acte de production et aux grands équilibres écologiques de la planète : la pollinisation des cultures entomophiles, la régulation biologique des bioagresseurs, l’entretien de la fertilité des sols, le recyclage des matières organiques notamment. Ces organismes utiles sont appelés auxiliaires de cultures.

    Une diversité de solutions pour s’adapter au changement

    Changement climatique, augmentation des pressions de bioagresseurs et réduction des possibilités de recours à la chimie, phénomènes de résistance aux insecticides, sont autant de contraintes qui demandent aux agriculteurs d’importantes capacités d’adaptation et notamment de reconcevoir en profondeur leurs systèmes. Il s’agit de rester compétitif tout en réduisant l’empreinte environnementale de leurs activités. Dans ce contexte en mutation, nombreux sont les organismes vivants qui peuvent soutenir les efforts de l’agriculteur dans le processus de transition agricole et notamment la réduction des insecticides. Pour cela, il est nécessaire de mieux les prendre en compte dans les façons de produire et aussi dans la manière de gérer l’environnement extra-parcellaire.

    Figure 1 : Aphidius sp parasitant un puceron, à l’aide de son ovipositeur, il introduit un œuf dans le puceron vivant. © Artzai Jauregui.

     

    Ainsi, la biodiversité dite « fonctionnelle », celle qui rend des services aux producteurs est un patrimoine sur lequel l’agriculture devra s’appuyer davantage si elle veut relever les grands défis auxquels elle est confrontée.

    Témoignage d’Hubert Compère, agriculteur dans l’Aisne qui n’applique plus d’insecticides sur ses colzas depuis plus de 15 ans grâce à la mise en œuvre de leviers agronomiques combinées à l’action des insectes auxiliaires qu’il favorise sur sa ferme.

     

    Régulations biologiques des bioagresseurs, sources de résilience

    Dans les parcelles agricoles en production et à leurs abords, dans les jachères et les prairies, différents organismes vivants coexistent, s’alimentent et se reproduisent et ce faisant rendent des services aux agriculteurs, et notamment le contrôle biologique des bioagresseurs. Ces organismes sont très divers, ont des morphologies, des écologies, des degrés de spécialisation alimentaire contrastés. Le contrôle biologique est les résultats de leurs comportements individuels et de leurs interactions.

    Leur action peut être rapide et visible immédiatement, comme celle des larves de syrphe qui consomme des colonies de pucerons ou bien décalée dans le temps dans le cas du parasitisme d’une larve d’altise par un hyménoptère parasitoïde. Il s’agit d’un facteur essentiel à la production agricole et par conséquent de l’alimentation humaine et animale ainsi que l’équilibre des écosystèmes de la planète.

    S’agissant d’un sujet vaste et complexe à traiter, nous l’illustrerons autant que possible avec ce qui se passe sur la culture du colza, une culture qui présente un enjeu « insectes » fort.

    Les insectes auxiliaires ennemis naturels des ravageurs

    Les prédateurs du sol : Parmi eux, on dénombre les carabes, staphylins et araignées. Très voraces, ils consomment des proies comme des limaces et pucerons au grès de leurs déplacements, de manière opportuniste ou en chassant à l’affut. Ils se nourrissent des organismes qu’ils rencontrent quels que soient leurs stades de développement : œufs, larves ou adultes et ont une action très significative dans les parcelles agricole.

    Figure 2 : 3 espèces de carabes très fréquentes en parcelles agricoles, de gauche à droite : Nebria salina, Anchomenus dorsalis et Poecilus cupreus. © Ravene Brousse

     

    En milieu agricole, les carabes sont très répandus. Certaines espèces sont particulièrement adaptées aux conditions de milieu qui règnent dans les parcelles : périodes de sols nus, travaux du sol fréquents… A titre d’exemple, nous présentons ci-dessous les résultats d’un diagnostic éco-entomologique conduit sur le territoire pilote du projet R2D2 en 2020 qui a recensé tout au long de l’année les carabes piégés de manière passive via l’utilisation de pots Barbers positionnés dans des parcelles de colza, pois, luzerne, céréales, tournesol. Dans le courant de cette année, ce sont 2145 spécimens et 40 espèces qui ont été piégées (figure 3).

    Figure 3 : Distribution des carabiques adultes capturés en 2020 sur le territoire du projet R2D2.
    Espèces dominantes >5% ; subdominantes : 1 à 5 % ; compagnes : <1%. Source : Laboratoire d’Eco-entomologie d’Orléans.

    Plus les communautés de carabes sont diversifiées, plus le milieu est proche de son état « naturel », les perturbations humaines comme le labour favorisant quelques espèces dominantes dont les cycles de vie sont adaptés aux parcelles cultivées.

    Les auxiliaires volants : Ceux qui participent activement à la régulation des ravageurs en milieu agricole sont principalement les syrphes, les sphégiens, les coccinelles, les névroptères, les diptères et hyménoptères parasitoïdes. Plus mobiles que les prédateurs du sol, certains peuvent se déplacer à plusieurs centaines de mètres. Ils naviguent au grès de leurs besoins et de leur cycle de développement entre les parcelles agricoles et les milieux adjacents où ils trouvent des refuges et des ressources alimentaires. Un grand nombre d’espèce d’auxiliaires volants sont floricoles au stade adulte, c’est-à-dire qu’ils consomment du nectar et du pollen et leurs larves sont souvent des prédatrices redoutables. Les habitats semi-naturels sont indispensables à ces insectes en leur offrant des abris et des ressources alimentaires au cours des différentes étapes de leur cycle de vie.

    Mouche tachinaire (diptère parasitoïde)
    © Nicolas Cerrutti
    Syrphes adultes. © Nicolas Cerrutti

     

    Focus sur les hyménoptères parasitoïdes des ravageurs du colza

    Le colza est une espèce particulièrement sujette aux dégâts d’insectes et notamment de coléoptères (altises, charançons, méligèthes…). Leurs principaux ennemis naturels sont de minuscules guêpes que l’on nomme hyménoptères parasitoïdes (figure 4).

    Figure 4 : efficacité potentielle des insectes auxiliaires pour la régulation des ravageurs du colza (Source : Les auxiliaires des cultures, ACTA éditions).

     

    Une dizaine d’espèces principales visitent les parcelles de colza et en accomplissant leur cycle de vie contribuent à réduire significativement les pressions de coléoptères lorsque leurs conditions d’habitat et les pratiques agricoles sont compatibles avec leur développement. On peut les observer en train de voler autour des plantes dès fin janvier / début février par temps ensoleillé pendant les heures les plus chaudes de la journée ou bien les piéger dans les cuvettes jaunes ou encore en passant un filet fauchoir.

    Ces espèces sont utiles dans la mesure où avec les prédateurs du sol qui consomment les larves de coléoptères qui se déplacent sur le sol, ils constituent l’un des principaux remparts « naturels » contre les pullulations de coléoptères ravageurs du colza qui sont souvent fortement préjudiciables au développement de cette culture.

    L’action régulatrice qu’ils exercent s’effectue plutôt sur le long terme car la plupart des espèces de parasitoïdes s’attaquent aux larves de coléoptères qui continuent leur développement dans les plantes jusqu’à ce qu’elles tombent au sol pour se nymphoser. Elles sont alors consommées par le parasitoïdes. Parmi les hyménoptères parasitoïdes, certaines espèces s’attaquent aussi aux pucerons, laissant en évidence les fameuses « momies » témoins de leur action régulatrice. 

    Pour bénéficier de leurs services, il faut avant tout bien connaitre leur mode de vie et leurs besoins pour donner aux agriculteurs les moyens de mieux les prendre en compte dans leurs pratiques. Pour ce faire, Terres Inovia effectue des suivis sur le territoire pilote du projet R2D2 situé sur les plateaux de Bourgogne. Des piégeages et relevés sont effectués depuis 2019 pour étudier les périodes d’émergence des parcelles de céréales suivant le colza, et également les périodes d’activité dans les parcelles de colza en différenciant les espèces présentes et leurs hôtes de prédilection. Des calendriers de présence sont établis dans cet objectif (figure 5). Le laboratoire de Terres Inovia développe depuis plusieurs années des techniques de pointe en biologie moléculaire (COLEOTOOL).

    Les traitements de printemps contre les charançons de la tige du colza, les méligèthes et les charançons des siliques sont particulièrement à risque (cf. calendrier).

    Figure 5 : Calendrier de présence des principales espèces de parasitoïdes d’intérêt pour la régulation des coléoptères ravageurs du colza.

     

    Hyménoptères parasitoïdes de méligèthes du genre Tersilochus. © Hubert Compère. Hyménoptère parasitoïde du genre Aphydius parasitant un puceron vert du pois. 
    © Artzai Jauregui.

     

    Généralistes, spécialistes ; prédateurs de foyers ou prospecteurs…

    Les régulations biologiques qui s’opèrent à l’intérieur des parcelles agricoles et à leurs abords sont le fruit de comportements individuels de prédation et de parasitisme et également d’interactions : compétition pour la ressource, antagonismes… L’action conjointe de différents organismes conduit parfois à des synergies : exemples des araignées qui en chassant leurs proies sur les plantes font que celles-ci tombent au sol ce qui facilite leur prédation par des carabes. De manière générale, plus les communautés d’insectes sont diversifiées, plus les régulations sont efficaces et moins elles sont sujettes aux variations liées aux conditions annuelles notamment les aléas climatiques. 
    Les insectes auxiliaires ennemis naturels des ravageurs ont des stratégies alimentaires différentes. On peut ainsi les classer selon ce critère. Les espèces généralistes consomment une large gamme de proies, c’est le cas des carabes et des araignées. D’autres sont plus spécialisées et dépendent d’une ou de quelques espèces de ravageurs. Les comportements alimentaires d’une espèce ne sont pas figés, ils peuvent varier en fonction des années et en fonction des environnements. En effet, certains organismes ont la possibilité en cas de pénurie d’une espèce de proie de se rabattre sur d’autres. Cet exemple est bien illustré en figure 6 qui traite du parasitisme des pucerons par plusieurs espèces de parasitoïdes. On y remarque que d’une part, en fonction des années et des sites, la diversité des parasitoïdes et de leurs « hôtes » peuvent être totalement différente, ce qui conditionnent fortement les comportements de parasitisme. Les régulations biologiques sont donc la conséquence de mécanismes complexes dont les équilibres peuvent rapidement être modifiés que ce soit suite à l’action de certaines activités humaines ou simplement le fait d’évènement naturels (sécheresse, etc…).

    Figures 6 : Interactions trophiques entre diverses espèces de parasitoïdes pour l’exploitation de la ressource « pucerons » dans différents environnements entre 2010 et 2012 (Andrade et al., 2015).

    D’autres éléments de stratégies alimentaires permettent de classer ces insectes. Les coccinelles et larves de syrphes sont des prédateurs dits « de foyer », c’est-à-dire que les adultes recherchent activement de fortes densités de proies afin d’y pondre leurs œufs et permettre ainsi à leurs progénitures d’accomplir leur cycle larvaire au sein de colonies de ravageurs, là où les ressources sont abondantes. A l’inverse, les carabes, staphylins et araignées sont opportunistes et ont des comportements de prospection plus marqués (figure 7). Les prospecteurs ont une action de fond qui permet de réduire la fréquence des pullulations de ravageurs tandis que les prédateurs de foyer en font baisser l’intensité. Ces derniers arrivent donc tardivement, lorsque les explosions démographiques de ravageurs sont déjà en cours. Ainsi, il faut souligner que ces deux catégories d’auxiliaire ont une action complémentaire vis-à-vis des populations de ravageur.

     

     

    Autres auxiliaires des cultures

    Les oiseaux : Les insectes ne sont pas les seuls organismes capables de réguler les ravageurs de culture. Certains passereaux comme la fauvette, le chardonneret, la mésange, les rapaces diurnes comme les faucons ou nocturnes comme les chouettes participent activement à la régulation des bioagresseurs dans les parcelles agricoles et à leurs abords. Par exemple, un couple de mésanges bleues et leurs petits consomment quotidiennement environ 500 proies, ce qui représente, à la fin de l’année, 10 000 insectes dévorés ! A la base de leur régime alimentaire : coléoptères, chenilles, lépidoptères, pucerons, punaises, larves et œufs.

    Mésange bleue

    Les mammifères : Chauves-souris, renards, belettes, hérissons, sont des également des auxiliaires de cultures. Les chauves-souris par exemple sont des chasseuses hors-pairs. Chaque nuit elles débarrassent les vergers de plusieurs centaines d’insectes et représentent de ce fait des auxiliaires des cultures qu’il faut favoriser.

    Les insectes pollinisateurs : Quand on parle d’insectes pollinisateurs, on pense en premier lieu à l’abeille domestique. Elevée pour la production de miel et des produits de la ruche, cette espèce emblématique supporte une activité économique : l’apiculture. Pourtant, parmi les abeilles, il existe une étonnante diversité : on en dénombre environ 980 espèces en France métropolitaine. Ces espèces sauvages présentent des formes, des comportements et des couleurs variées et vivent discrètement, principalement de manière solitaires (90% des abeilles). Elles nichent pour la plupart dans le sol (70% des abeilles sauvages sont terricoles, c’est-à-dire qu’elles nichent dans le sol, y compris celui des parcelles agricoles). Concernant l’alimentation, les abeilles sauvages sont globalement moins « généralistes » que les abeilles domestiques, on les qualifie de polylectiques, oligolectiques ou monolectiques en fonction du nombre d’espèces végétales sur lesquelles elles vont s’alimenter, c’est-à-dire de leur niveau de spécialisation. A titre d’exemple, la collète du lierre, Colletes hederae est une abeille dont le cycle de développement est entièrement calé sur celui du lierre car c’est sa seule source de nourriture !

    Abeille domestique sur tournesol. © Laurent Jung

    Les abeilles ont en commun de visiter les fleurs en quête de nourriture et ce faisant de participer au transport du pollen des étamines vers les stigmates contribuant ainsi à la production grainières des plantes à fleurs. Leur comportement de butinage et les poils branchus qui recouvrent leur corps en font des insectes particulièrement adaptés à la collecte et au transport du pollen. Ce sont principalement les abeilles qui assurent le service de pollinisation. Cependant, ce service repose également sur d’autres ordres d’insectes et notamment les diptères dont les syrphes et dans une moindre mesure les lépidoptères et coléoptères. A l’échelle mondiale, on estime à 87.5% le pourcentage de plantes à fleurs qui sont pollinisées par les animaux.

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