Carrefours de l’innovation agronomique : les biosolutions à l’honneur
Carrefours de l’innovation agronomique : les biosolutions à l’honneur
Le 26 janvier 2023 se tenaient, à l’ENSAIA, à Nancy, les Carrefours de l’Innovation Agronomique (CIAG) de l’INRAE sur la thématique « Biosolutions: processus d’innovation et d’évolution des systèmes techniques en agriculture».
Animée par l’alliance Agreenium et introduite par le député Dominique Potier, cette journée proposait des interventions et ateliers de travail ainsi qu’une table ronde. Elles ont illustré la diversité des biosolutions en agriculture et ont permis de discuter de leurs contributions à la transition agroécologique.
Focus sur le projet R2D2 : la régulation des ravageurs par les insectes auxiliaires
Plusieurs experts de Terres Inovia étaient présents : Afsaneh Lellahi, directrice adjointe de l'action régionale et du transfert de l'institut, Delphine de Fornel, responsable de la zone Nord et Est, Aurore Baillet, ingénieure de développement, et Nicolas Cerruti, chargé d’études en biodiversité fonctionnelle.
Celui-ci a présenté le projet R2D2, coordonné par Terres Inovia, montrant qu’il est possible de mobiliser certaines solutions tout simplement présentes dans la nature. C’est le cas des régulations biologiques, processus par lequel les insectes auxiliaires contribuent à la régulation des ravageurs de cultures.
Le projet R2D2 combine ainsi la mise en œuvre de leviers agronomiques aux principes de la lutte biologique par conservation. Il se donne l’objectif d’accompagner un collectif de 10 agriculteurs exploitant 1 300 ha de grandes cultures sur les plateaux de Bourgogne pour limiter les dégâts d’insectes tout en réduisant les applications d’insecticides autour de trois axes de travail :
-améliorer la robustesse des cultures
-favoriser les ennemis naturels des ravageurs déjà présents dans le milieux et, ainsi, renforcer le contrôle biologique
-défavoriser les ravageurs de cultures à l’échelle du territoire notamment via la mise en place d’intercultures pièges.
R2D2 vise ainsi à améliorer la résilience des systèmes et l’autonomie des agriculteurs vis-à-vis des intrants par une approche de reconception des systèmes en profondeur, allant de la parcelle au paysage. En ce sens, il présente une vraie originalité par rapport aux autres solutions présentées au cours du CIAG qui visent à se substituer aux intrants chimiques.
Des solutions innovantes, des lysats d’amibe aux parfums à base de kairomone
Parmi les solutions présentées lors du colloque, on notera la solution de biocontrôle développée par la société AMOEBA. Cette société française propose l’utilisation d’un lysat d’amibe extraite des eaux thermales d’Aix-les-Bains comme solution anti-fongique en céréales, vigne et maraichage. L’entreprise déploie ses capacités de tests afin de mieux comprendre les fonctionnement de cette solution, de travailler sur son positionnement, sa formulation. Les coûts financiers du développement de ces solutions sont mises en avant par Jean-Luc Souche, tout comme le « risque réglementaire ». La biosolution est aujourd’hui homologuée aux Etats-Unis, mais pas en Europe.
Ene Leppik, de la société Agriodo, a fait entrer les participants dans le monde fascinant de l’écologie chimique et des possibilités qu’ont les « odeurs » de manipuler le comportement des insectes, et notamment les insectes ravageurs des cultures. Ces « parfums » à base de kairomones et allomones attirent ou repoussent les bioagresseurs en s’inspirant de la communication entre les plantes et les insectes. Ils pourraient constituer des solutions alternatives à l’utilisation des insecticides.
Le rôle de ces biosolutions dans la transition agroécologique des systèmes agricoles
Même si la mise en application de tels principes aux champs n’est pas aisée, des solutions commerciales émergent. Le piégeage de masse pour lutter contre les bruches de la féverole, commercialisé par De Sangosse, a été pris en exemple. A l’issue de la présentation, des attentes de solutions vis-à-vis des ravageurs du colza se sont d’ailleurs exprimées. Les experts de l’institut n’ont alors pas manqué de citer les projets de recherche cofinancés par le Plan sortie du Phosmet.
Les échanges entre les différents intervenants de la journée animés par Xavier Reboud et Christian Huyghe, de l’INRAE, ainsi que les 4 ateliers de travail conduits en parallèle (biosolutions en systèmes de grandes cultures, viticoles, ateliers ruminants et productions légumières), ont permis d’échanger autour de ces solutions et des conditions qui favoriseraient leur adhésion par les agriculteurs et de leur rôle dans l’accompagnement de la transitions agroécologique des systèmes agricoles.
Une efficacité pas toujours facile à évaluer in situ
Parfois formulables, commercialisables et applicables au champ afin de stimuler les défenses naturelles de plantes ou contrôler les ravageurs, certaines biosolutions ne sont pourtant pas identiques aux produits chimiques.
Elles ont des profils souvent plus respectueux de l’environnement et leurs modes d’actions, leurs conditions d’applications, et leur niveau d’efficacité diffèrent également. Il est souvent nécessaire de conduire des études approfondies destinées à en tirer le meilleur avantage.
De plus, les effets démontrés au laboratoire sont susceptibles d’être modulés par les conditions environnementales, créant des difficultés supplémentaires. Pour les coopératives agricoles comme EMC2, il est souvent difficile de faire le tri entre les produits mis en marchés tant les allégations sont nombreuses et pas toujours fondées.
La mise en place d’essais au champ est donc nécessaire pour faciliter l’adhésion à ces solutions par les agriculteurs, mais leur efficacité n’est pas toujours facile à évaluer in situ. D’un point de vue méthodologique, il convient d’utiliser les bonnes grilles d’évaluation en identifiant et mesurant des indicateurs pertinents. Or, ils ne font pas toujours consensus.
Quoi qu’il en soit, les firmes phytosanitaires comme BASF et CORTEVA l’ont compris : l’avenir n’est plus au tout chimique et les géants de l’agrochimie investissent désormais dans de nouveaux piliers de croissance : les semences et les bio intrants. L’entretien de la dépendance des agriculteurs à l’agrofourniture a régulièrement été pointé du doigt au cours de la journée. Toutefois, l’intérêt des grands groupes a le mérite de drainer des fonds importants vers la recherche pour mieux connaitre les bioagresseurs, les régulations biologiques et les mécanismes en jeu.